« Tout le monde a sa définition du cinéma. Tout le monde est critique de cinéma. Tout le monde a vu des films. C’est l’art le plus populaire, le plus fréquenté, le plus forain, le plus industriel même. Et c’est aussi l’inverse : le lieu des expérimentations bizarres, des histoires sans histoires pour happy few, le musée contemporain extrême. C’est un monde dans le monde. Que peut-on ajouter à son sujet qui ne soit pas une redite, un pot pourri de propos cent fois tenus, un lieu commun ou, même savante : une banalité ?
Ce que je peux dire malgré tout, en dépit de cet héritage de discours qui est un peu inhibant, c’est que le cinéma m’a inventé des espaces, du temps supplémentaire à habiter, des vies à mener qui débordaient la mienne, qu’il m’a offert des modèles et fixé quelques limites que je ne pouvais franchir. Par exemple, Babadook, film d’horreur australien dont je n’aurai pas pu voir plus de quinze minutes. Le cinéma a pu ça aussi pour moi, et tant d’autres, nous faire expérimenter par procuration des états limites, de peur, d’excitation, des simulations qui amplifient nos existences, les démultiplient, en nous gardant du risque d’avoir à les mener, en nous donnant la possibilité de ne pas choisir, de tout vouloir et tout tester. Ce que je peux raconter aussi, c’est un peu de mon histoire avec le cinéma.
Le premier film que j’ai vu sur un grand écran, à Epinal, était sans doute Taram et le chaudron magique, à moins que ce ne soit Blanche Neige.
Le souvenir est trop loin. J’avais eu peur et du plaisir ; tout est là. Je me souviens aussi de Terminator 2, premier film que j’ai vu à plusieurs reprises au cinéma. Car voir, c’est aussi ça : revoir. Je me souviens de l’incendie du Palace et de l’affiche de Over the top, dernier film projeté dans cette salle, et du biceps gonflé de Sylvester Stallone qui resta des mois sur la façade noircie de l’unique cinéma que comptait alors notre ville. Je me souviens d’être allé voir des films seul, et même le matin, à l’adolescence, alors que ça n’allait pas très fort, et que la salle et l’écran étaient mes seuls recours. Je me souviens de C’est arrivé près de chez vous et des spectateurs qui sortaient avant la fin, choqués, ce qui me semblait un acte surnaturel. Quitter la salle alors qu’on avait payé… Je me souviens d’un hiver et de cette affiche de Greemlins de Joe Dante, aperçue enfant dans un couloir du Palace, cette patte oursonne qui sortait d’une boite en carton, et le désir énorme que cette image avait suscité en moi, ce désir maladif de voir, de savoir, qu’on me raconte cette histoire, un désir qui était comme le besoin d’amour ou la faim : inguérissable.
Aujourd’hui, c’est mon tour de faire la programmation. Cette liste, je l’ai pensée comme je vois le cinéma, avec ses paillettes, son côté artiste, ses carrés réservés, ses portes grandes ouvertes au plus grand nombre. Tout l’éventail. Avec des films qui m’ont regardé grandir, vus et revus, presque chaque année pour certains d’entre eux. Avec des films de chevet, qui sont un peu mon miroir. Avec des films que je veux faire connaître et même quelques uns que je n’ai jamais vus, lacunes que cette occasion me permettra – je l’espère – de corriger.
Je remercie donc Image’Est de m’avoir donné cette chance : partager un peu de mon écran intérieur. Et j’en profite pour faire un petit rappel toujours utile avant de conclure. LE plus grand film de tous les temps n’est ni Potemkine ni Citizen Kane. Encore moins La nuit du chasseur. C’est Cartouche, évidemment ».
Bons films !